7 Preuves que les geeks dominent le monde

/ Article - écrit par Hugo Ruher, le 26/02/2015

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Oui, cher Krinaute, nous vivons dans un monde où les dirigeants ne sont ni les sportifs beaux et forts, ni les intellos bons en science, ni les artistes charismatiques. Maintenant, pour avoir l’âme d’un leader il faut cartonner à Mario Kart, être incollable sur la mythologie de l’univers Marvel, ou assurer comme un dieu sur Guitar Hero. Caricatural? Oui. Mais tout de même…

Tout d’abord, qu’est-ce qu’un geek? Je ne sais pas. Il y a à peu près autant de définitions qu’il y a de geeks donc on va s’en tenir à quelque chose de large… Disons que si vous êtes un amateur ou un passionné de manga, de comics, de BDs, de jeux vidéo, de cinéma/série/littérature fantastique ou de science-fiction, si vous avez Linux, si vous savez ce que signifie 42 ou si vous êtes sur ce site… Vous êtes un geek. Pas besoin de correspondre à toutes les catégories, rassurez-vous.

Bref, comme vous le voyez, tout ce qui correspond à la sous-culture geek comprend des domaines artistiques souvent jugés secondaires face à la culture dite légitime telle qu’on l’apprend à l’école. Pourtant aujourd’hui, adhérer à ces domaines semble être à la mode, être acceptable et légitime pour briller en société, tout autant que d’être passionné de peinture impressionniste ou de jazz.

En effet, les fanas de jeux de rôle des années 80 sont aujourd’hui des adultes, parfois des dirigeants, et ils transmettent cette culture dans les hautes sphères, ce qui peut expliquer en partie ce revirement. Et aujourd’hui, les geeks dominent le monde. Ça vous en bouche un coin ? Comment ? Vous ne me croyez pas ? Vous ne faîtes pas confiance à un type qui s’invente un dialogue imaginaire tout seul devant son clavier ? Alors voici sept preuves qui montrent que les geeks nous dominent tous. Oui, tous. Et toi aussi le rouquin au fond qui se gratte le nez.



Les super-héros sont partout

Depuis un peu plus de dix ans, les super-héros sont omniprésents au cinéma, et c’est parti pour durer. Le renouveau a eu lieu avec Iron Man, le moment où la patte geek a commencé à davantage se faire sentir. En effet, que ce soit Spiderman ou X-Men sortis avant, il s’agissait de héros très populaires, connus de tous même de ceux qui n’avaient jamais ouvert un comic. En revanche, Iron Man était surtout connu chez les initiés. On pourrait donc y voir un aspect confidentiel, un film pour les fans. Mais non. Comme on le sait, Marvel débute avec Iron Man son grand cycle cinématographique extrêmement grand public.


Allégorie de l'overdose.

 

Et les films suivants étoffent toute la mythologie chère aux “vrais” fans de comics. Le fait qu’un grand studio ait réussi avec succès à se lancer dans un genre de films très marqués et réservés à une certaine catégorie de consommateurs, montre que parier sur la vitalité du monde geek peut être un pari gagnant. Et au fil des épisodes, les clins d’oeil se multiplient. Que ce soient à travers les caméos de Stan Lee ou les références plus ou moins discrètes aux autres héros des franchises Marvel.

Cela atteint son paroxysme avec Les Gardiens de la Galaxie qui joue à fond la carte du second degré et des références aux codes des films. Et puisqu’on parle de ça...

Les blagues pour initiés

Il n’y a qu’à se balader en ligne sur quelques forums consacrés à Doctor Who, Game of Thrones ou autre, pour se rendre compte que ceux qui aiment ces oeuvres sont bien souvent des acharnés du détail. Ils repèrent les moindres références et connaissent des lignes de dialogues entières par coeur. C’est pourquoi les créateurs des produits dits “geeks” aiment bien émailler leur travail de références pour initiés, il s’agit des private jokes. Et qui dit geek dit initié. Ceci est très présent au cinéma comme dans Les Gardiens de la Galaxie et sa scène finale post-générique que je ne dévoilerai pas en ces lieux. Ou encore dans l’intégralité de La Grande Aventure Lego, entièrement bâti ou presque sur des références extérieures que les fans adorent repérer, de Batman à Dumbledore. Avant ça, on avait déjà eu Les mondes de Ralph et ses multiples petits clins d’oeil. Par exemple, un tag “Aerith lives” discrètement placé, en référence au personnage mort dans Final Fantasy VII.

Egalement dans un genre différent, 21 Jump Street, qui est à deux doigts de briser le quatrième mur à la façon de C’est la fin et de l’ensemble des productions Apatow qui jouent sur la connaissance qu’ont les spectateurs de l’oeuvre qu’ils sont en train de voir.


Hey, I'm a private joke.

 

Personnellement, c’est une tendance que je commence à trouver énervante car elle s’apparente souvent à du pur fan-service. Comme un appeau à geeks avides de la moindre référence à Star Wars ou au Seigneur des Anneaux. Il ne suffit pas à un personnage de dire “Vous ne passerez pas !” pour rendre un film drôle, c’est bien souvent jouer sur la facilité.

D’après moi, cette tendance à la private joke montre que non seulement, les geeks sont à la mode, mais qu’en plus, les studios le savent et y voient une nouvelle possibilité de toucher leur public. De là à dire qu’on fait plaisir aux geeks pour faire du fric, il n’y a qu’un pas.

Les séries de genre

Parlons un peu de séries… Depuis quelques années elles ont énormément évolué pour plusieurs raisons que Krinein, dans son immense bonté, a présentées ici. Une évolution qui a aussi mené à une geekisation. Oui c’est un mot. Je m’explique : les séries les plus populaires touchent bien souvent à des sujets qui plaisent au plus grand nombre. On y trouve en vrac des comédies familiales ou des enquêtes policières par exemple. Le genre de choses qu’on a l’habitude de voir à la télé et au cinéma et qui peut être apprécié à peu près par tout le monde. Ce qui n’est pas le cas d’autres genres comme le fantastique, l’horreur, la fantasy ou la science-fiction.

Pour la science-fiction, il y a eu quelques exceptions avec Doctor Who et X-Files qui ont connu un immense succès public parce que le genre commençait déjà à se démocratiser. En revanche, il était impensable il y a encore quelques années que des séries comme Walking Dead ou Game of Thrones deviennent de tels phénomènes. La fantasy n’a réussi à sortir de son cocon de passionné qu’avec le Seigneurs des Anneaux et le genre de l’horreur a toujours été reservé à un certain type de spectateurs. Pourtant, des producteurs et des diffuseurs ont pris le risque et ils ont eu raison.


Une scène de mariage c'est toujours typiquement grand public... Oh....

 

Ce qui est intéressant c’est que ces séries qu’on aurait pu croire confidentielles ne sont pas sorties en catimini avec le budget d’un repas sur Easyjet, elles ont bénéficié de grandes promotions, d’importants budgets et de longues pages dans les médias, même généralistes. La preuve que la culture geek est vraiment devenue mainstream.

Les héros de séries

On va continuer sur les séries… Il n’est plus forcément nécessaire d’être un flic, un médecin ou un gangster pour être un héros de série. L’année 2007 a été charnière dans le sens où deux séries à succés mettant en scène des geeks sont apparues: Chuck et The Big Bang Theory. Si on peut disserter longtemps sur la question de l’appartenance ou non de ces séries au “réel” esprit geek si tant est qu’il existe, le fait est que ces deux séries ont centré leur communication sur la geekitude de ses personnages. Tout n’est pas fait, et l’aspect geek est malheureusement bien souvent lié à l’enfance, et les personnages tendent à perdre ces caractéristiques en “mûrissant”. Cela dit on note un nouveau progrès avec Community qui possède un côté geek bien plus développé et des personnages extrêmement attachants.


Comment représenter la folie de cette série en une seule photo?.

 

Les grands médias s'y mettent

On se rappelle avec douleurs des rares excursions des jeux vidéo dans les grands médias… On y trouvait des mots étranges tels que “addiction”, “danger” ou encore “Meuporg”. Mais il se trouve que les gens qui travaillent dans les médias sont de plus en plus des gens qui ont grandi dans les années 80, et ils y apportent la culture qu’ils ont egrangée avec parfois une certaine tendresse pour le monde geek. Pour résumer, c’est un peu comme si un joueur acharné de Donjons et Dragons se retrouvait rédac’ chef chez France 3. On n’en est pas là mais l’évolution est en cours. C’est ainsi qu’on retrouve des gens passionnés et sincères comme Anthony Morel sur BFM ou encore les responsables de la rubrique Pixels de LeMonde.fr qui apportent une certaine fraîcheur et traitent les sujets sérieusement.


Le monde merveilleux, jeune et dynamique des grands médias.

 

Cette évolution est certainement liée au développement des problématiques d’internet et sur des sites généralistes comme Rue89 ou Slate, on trouve une large place accordée au web et aux questions qui gravitent autour telles que la liberté d’expression, l’anonymat, la neutralité ou le piratage.

Le plus important dans cette présence, c’est qu’on trouve maintenant moins de condescendance et davantage de respect et de sérieux quand on traite du monde geek. Même si quelques accrocs persistent ci et là… Antoine De Caunes, si tu nous lis…



Les problèmes de geeks

Un autre point encore sur les médias: les problèmes des geeks qui y sont traités régulièrement. Pas d’inquiétude, je ne parlerai pas ici de l’accro à WoW qui n’arrive pas à trouver de copines… Non, on va aborder quelque chose de plus sérieux: le sexisme. On a vu dans les médias, de nombreux articles abordant le sexisme parmi les amateurs de jeux vidéo, et chez les geeks d’une manière générale. Il est vrai que certains comportements troublants sont visibles dans les forums consacrés à la question, dans les commentaires de vidéos Youtube et parmi les discussions de jeux en ligne.

Nous n’allons pas ici faire un compte-rendu de ces problèmes, ce serait bien trop long… Mais au-delà du phénomène lui-même, une question se pose. Depuis quand est-ce que les problèmes de la “communauté geek” sont dignes d’intérêt ? On sait que les discriminations sexuelles sont un problème récurrent dans nos sociétés mais jusqu’à ces dernières années, personne ne s’était intéressé à cette situation au sein de ce milieu bien particulier. Un signe peut-être, qui montre encore une fois qu’on s’intéresse y compris dans les grands médias aux représentations en vigueur au sein de cette communauté. Les geeks ont de l’influence M’sieurs Dames!


Notons tout de même que quelques clichés persistent.

 

Il y a encore quelques années, il aurait été impossible de voir une polémique naître à propos de propos sexistes sur la vidéo d’une youtubeuse, on aurait trouvé impensable que des hommes politiques critiquent la représentation de la révolution française dans un jeu vidéo. On n'aurait pas non plus imaginé France Culture s'en prendre à un critique cinéma de Youtube. On est au-delà des simples discours du type “Les jeux vidéos rendent stupides” qui étaient majoritaires il y a encore cinq ou six ans. Maintenant, la culture vidéoludique et tout ce qui tourne autour est considéré comme un moyen d’expression à part entière. Comme peut l’être le cinéma, la musique, bref… L’art!

L’art, le vrai

Sur cette magnifique transition qui me vaudra un Pulitzer, parlons un peu d’Eric Chahi, talentueux développeur français connu pour des jeux tels que Another World, Heart of Darkness ou plus récemment From Dust. De talentueux reporters (adresse sur demande pour envoyer des fleurs) lui avaient demandé si le jeu vidéo pouvait être de l’art. Il avait répondu "Le jeu vidéo est un média. On peut faire de l’art avec, comme avec la peinture. La peinture seule c’est uniquement de la peinture, et avec ce média, on peut créer de l’art."

Et ce bon vieux Eric n’est pas le seul à tenir ce discours. En 2012, le MoMA (Museum of Modern Art) de New-York a dédié une collection au jeu vidéo. Outre Another World, on y trouve en vrac Tetris, Pac-Man, Sim City 2000, Portal ou Canabalt. Les visiteurs peuvent y jouer dans le musée, comme on admirerait un tableau de maître. Et pour les deux au fond qui ne suivent pas, il ne s’agit pas d’un obscur musée alimentée par la MJC locale, on parle du MoMA, un des musées les plus réputés du monde. Et ouais.

Cette évolution s’est faite au prix d’un long apprentissage de la part des détenants de la culture dite légitime. Faire passer quelque chose qui n’était lié qu’à un loisir enfantin à une oeuvre d’art n’est pas chose facile.

Dire que les geeks dominent le monde est bien-sûr une formule abusive (pour le moment niark niark niark…) mais on est bien forcé de reconnaître que ce type de culture longtemps dénigrée devient de plus en plus légitime et acceptée. Un constat paradoxal pour des pratiques longtemps caractérisées justement par leur rejet de la culture dominante. Dire que le geek est mainstream peut-il signifier la fin du geek ?