Les hommes ne peuvent écouter les femmes plus de 6 minutes. Enfin presque.

/ Article - écrit par nazonfly, le 21/12/2014

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Une fois n'est pas coutume, décryptons un peu ce qui se cache devant un mini-buzz médiatique dans le monde des sites à clic.

« Les hommes sont incapables d'écouter une femme plus de 6 minutes. » Ce matin un lapin a tué un chasseur. Ah non je me trompe, ce matin donc un de mes contacts Facebook a partagé un lien issu du site LePoint.fr, site internet du journal du même nom. Un gage de qualité, ou en tout cas, de sérieux serait-on tenté de dire. En suivant le lien, c'est une petite déception : l'article en question contient à peine plus de 200 mots ce qui est assez léger (pour comparaison cette critique en contient plus de 900). Mais ce qu'il faut en retenir est encore plus court, les hommes n'écoutent pas leur femme parler, surtout si elle parle de mode, d'horoscope, de repas, de régime, de célébrités et des histoires d'amour des autres. Car on le sait, ce sont les principaux sujets de conversation des femmes. À l'opposé les mâles sont très réceptifs quand on leur parle de football, de sexe ou de cinéma. Ouais, parce qu'on est comme ça nous les mecs, du cul et du sport ! 200 mots et enchaîner aussi facilement les clichés, c'est étonnant surtout de la part d'une étude. On connaît évidemment la propension des certains journalistes à réduire un thème à son plus simple appareil mais là on atteint des sommets.


DR. Blabla mode blabla Plus Belle la Vie Blabla Football Blabla Clara Morgane

 

Du coup on a voulu en savoir plus : on a voulu notamment trouver la source de ces données diablement intéressantes. Les pistes sont faibles : il s'agit d'une étude « diligentée par Ladbrokes – un site de paris sportifs – sur 2000 Britanniques ». On peut donc être un site de paris, faire une étude et apporter une conclusion définitive ! J'en suis franchement abasourdi (pour ne pas dire sur le postérieur). L'autre piste, donnée par l'article du Point, conduit à un autre article, celui du Daily Mail qui reprend les mêmes idées vagues sans apporter les chiffres que l'on aurait pu attendre. Une rapide recherche sur DuckDuckGo nous montre que les sites qui parlent de cette étude citent tous cet article du Daily Mail comme source (comme le Telegraph par exemple). Lui non plus n'apporte aucune preuve de ce qui est avancé, si ce n'est toujours ce même énigmatique site de paris. Il suffit donc de s'y rendre pour découvrir l'étude tant désirée ! Bizarrement il n'y a apparemment aucune nouvelle concernant cette étude, ni sur le site officiel, ni sur le Twitter officiel. On parvient quand même au Ladbrokes YourSay Web Portal où l'on apprend que les membres du site peuvent de temps en temps prendre part à des sondages/enquêtes et que plus on remplit de sondages, plus on a de chances de gagner les super méga prix (en VO : « As a member of Ladbrokes YourSay, from time to time we will invite you to take part in surveys and the more surveys you complete the more chance you have of winning some of the great prizes on offer. »). Malheureusement je n'ai pas pu m'inscrire. Ou plutôt j'ai pu m'inscrire mais le compte a été directement gelé. Comme les paris sportifs ne sont autorisés en France que si on a l'agrément de l'Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL), j'imagine que c'est la raison de mon échec.


DR. Ladbrokes un centre de recherche sur le comportement humain reconnu dans le monde entier !

 

Faisons maintenant le point sur ce que l'on sait : un site de paris sportifs paie des parieurs pour remplir des questionnaires en ligne, 2000 Britanniques ont participé à ce questionnaire dont on ne sait finalement rien, presque aucun chiffre n'est donné, les questions sont inconnues et seul le journaliste du Daily Mail semble connaître les résultats de cette enquête ; contacté par Twitter, il a répondu que c'est par une news agency qu'il a eu l'info et l'a récrite. Par le peu d'infos qui ont été données, on ne peut qu'imaginer que le site a interrogé des hommes sur le temps qu'ils pensent tenir à écouter leur femme et que les 6 minutes représentent sans doute une moyenne...

Rappelons maintenant ce qu'est une étude scientifique « solide ». Il faut un panel de sujets dont le recrutement est le moins biaisé possible. Ici on voit que les participants à ce site de paris sportifs ne sont certainement pas représentatifs de monsieur-tout-le-monde. Dans une étude scientifique, le questionnaire est généralement connu, parfois même validé sur une autre population mais surtout une fois qu'il est rempli, on a des chiffres clairs avec peut-être une moyenne, un écart-type... Ici encore rien de tout ça n'est disponible : quel est le pourcentage d'hommes et de femmes qui ont répondu par exemple ? Quel est l'âge de la population ? Y a-t-il une différence significative entre les hommes et j'insiste sur "significative" qui change tout ! En règle générale, il y a des statistiques derrière qui permettent (parfois non) de tirer des conclusions. Quand il s'agit d'une véritable étude scientifique et pas d'un sondage, le tout est généralement inclus dans un article qui reprend la littérature disponible, qui confronte les résultats aux précédents, un article qui sera relu par des scientifiques qui connaissent le domaine, qui rejettent ou acceptent l'article après avoir fait de nombreux commentaires (ce qu'on appelle dans le jargon le peer review). Et la plupart des articles restent mesurés quant aux résultats en rappelant les limites des études, les éventuels points à améliorer pour la suite etc.


DR.

 

Quelle crédibilité faut-il alors accorder aux résultats de cette étude très médiatique ? Quasiment aucune selon moi, les biais sont bien trop importants. Ce qui n'empêche pas la presse française de réécrire avec d'autres mots le même article (Le Figaro Madame ou Biba pour qui l'étude est subitement devenue une « étude scientifique »). Au passage on remarquera que la presse qui se veut féminine se délecte particulièrement des résultats de cette enquête. Finalement la question principale est : que faut-il conclure sur le niveau de sérieux de ces journaux qui, apparemment, reprennent des informations sans vérifier les sources ? Et surtout sans s'interroger sur la façon dont ont été obtenus les résultats !

Au final, cette pseudo-étude et le mini-buzz qui l'accompagne ne montre qu'une chose : tant que l'on va dans le sens des croyances non-vérifiées, on peut publier à peu près tout et n'importe quoi.